Donkey hike in Transkei

This page is the copy of a letter we sent to our families at the end of 1989. It tells the hike of two families – 8 kids aged 18 months to 8 years – in this countryside only 1000 km away from Johannesburg … but so far away from the western civilisation. It is in french, so bad for those who don’t understand. I don’t feel like translating it.

Saturés de notre vie de nomades, nous sommes rentrés de vacances un jour plus tôt que prévu. Ce qui n’est pas un luxe et va nous permettre de laver et ranger, et de coucher sur le papier le fourmillement de souvenirs avant que ceux-ci ne s’estompent.

Le vendredi précédant notre départ, nous avons pris contact avec J et A pour se confirmer destination et divers détails. Jamais nous n’étions partis avec aussi peu de préparation préalable, toute l’organisation devant se faire sur place suite a un échec total dans nos tentatives d’obtention de renseignements par téléphone ou courrier. Première inquiétude, les informations signalent une recrudescence atypique de la malaria dans tout le pays. En théorie, le traitement commence huit jours avant te départ. De plus, en compulsant du coup nos livres sur les diverses maladies tropicales possibles, nous découvrons que le Transkei est a la limite, mais dans la limite, de la zone de bilharziose. Renseignements pris, la malaria ne serait pas un problème en ce moment. Quand a la bilharziose, il faudra voir sur place. Inutile de préciser qu’en cas de risque, nous devons changer notre fusil d’épaule et aller ailleurs. Pas question de passer huit jours en balade et d’essayer d’empêcher les enfants de toucher l’eau.

Départ fixé au dimanche matin, avec rendez-vous au Sud de Johannesburg, a environ une heure de route pour chacun d’entre nous qui habitons aux deux extrémités de la ville. A 7h, on se téléphone pour confirmer. A 7h05, devant la maison, la voiture perd d’un coup toute son huile. Impossible de prévenir les autres, ils sont déjà partis. Impossible de les rejoindre, nous avons prêté la voiture de G pour les quinze jours à de nouveaux arrivants. Nous bénissons l’initiative qu’avait prise G de nous inscrire à AA, automobile club local. Un coup de fil, ils nous envoient quelqu’un « immédiatement», qui arrive une heure et demie plus tard après un second coup de fil. Dépannage immédiat, comme je m’en doutais: le garage qui avait fait la révision moins de huit jours auparavant avait oublié de serrer le filtre à huile. Cela fait deux fois que nous avons un incident immédiatement après une révision. Ce qui nous conforte dans la haute opinion que nous avons des capacités des garagistes locaux. Bref, nous voilà au point de rendez-vous avec deux heures de retard, et, bien sûr, personne. Coup de téléphone chez eux pour vérifier que leur maison est bien vide ( nous ne sommes plus certains d’avoir donné notre ‘bon’ numéro de téléphone les PTT du cru nous en ayant attribué un mauvais que nous avions diffusé tout autour de nous ). Nous décidons de les attendre une heure, puis d’y aller espérant se retrouver dans la ville prévue pour la première étape, dernière ville Sudaf avant le Transkei.

L’ambiance n’est pas au beau, tout le monde énervé par les deux heures d’attente ce matin puis sous le soleil au bord de la route. Ça commence bien… Pendant ces 800km de route, nous nous demandons si nous allons les retrouver ou non, et faisons déjà des plans de vacances seuls. En créant les homelands, dont le Transkei fait partie, les Sudaf ont bien sûr du préserver leurs intérêts. Et ne pas leur donner de villes déjà bien établies, tenues par les blancs. Kokstadt, ou nous nous rendons, est une enclave Sudaf dans le Transkei. Ce qui multiplie les passages de frontière. A l’un d’eux, le douanier Sudaf nous explique qu’une autre famille Française, pas cinq minutes auparavant, était passée en nous cherchant. Soulagement. Nous les rattrapons a la douane Transkeienne, a grands cris des huit enfants tout contents de se revoir et bien énervés par la journée. Ce qui ne va pas sans générer un certain bruit dans le bureau ou nous sommes regardés de travers puis priés de sortir notre marmaille qui trouble trop le calme et la solennité des lieux. Première nuit sur la dure sans histoires. Le lendemain, grand déballage et mise en ordre des affaires et victuailles tant que nous sommes encore tranquilles. Une fois de plus, nous créons l’étonnement, mais il nous faudra en prendre l’habitude.

En nous dirigeant vers Umtata, la capitale, nous entrons en Afrique. Finies les maisons, il n’y a plus que des multitudes de petites cases rondes au toit de chaume. Finies les forêts entretenues. Contraste frappant : les zones Sudaf sont boisées et replantées, au contraire du Transkei où, une fois le bois coupé, on ne s’inquiète de rien. Résultat : une terre pelée, ravinée. C’est cela, l’Afrique.. Arrivés là, commence une après-midi très pénible pour tous. G et A sont dans un jardin public avec les enfants, essayant en vain de les contrôler et de les empêcher de tremper pieds et mains dans le ruisseau qui le traverse ( because la bilharziose ), pendant que des Noirs, se sentant à juste titre les maîtres ici, pratiquent avec plaisir un apartheid reverse, que nous n’avons pas fini de voir, en les embêtant de leur mieux, saouls et désœuvrés.

J et moi-même découvrons une autre face de l’Afrique, celle des administrations incompétentes et désorganisées. Au bureau compétent pour donner les permis de camper, on nous regarde avec des yeux ronds. Ici, les blancs viennent demander des permis pour marcher le long de la côte, sur une piste bien identifiée et balisée, retenir leur nuit dans des camps précis construits à cet effet, point. C’est cela, le tourisme a la Sudaf. Et, comme de toute façon tout est retenu depuis plus de 6 mois au maxi des capacités, rien est possible. A se demander à quoi sert ce bureau . En insistant , nous apprenons déjà qu’il n’y a pas de bilharziose en cette saison Un point de réglé . Au bout d’une heure de palabres, un homme se rappelle qu’effectivement des Blancs sont allés ailleurs que sur la piste, il y a un an ou deux. Quand il apprend notre projet, il éclate de rire, nous disant que c’est impossible, que nous allons nous faire battre par ‘ les garçons’ chaque fois que nous allons passer d’un village à l’autre. Plus tard, à la réflexion, ce problème disparaît sans qu’il ne nous en dise plus à ce sujet. De toutes façons, seul le chef, qui est parti déjeuner et reviendra dans une heure, pourra nous renseigner et éventuellement donner une autorisation. Personne ne sait si nous pourrons trouver un ou deux ânes à louer. Il est vrai que nous n’en avons vu que très peu le long de la route. En attendant, nous examinons nos cartes, qui viennent de Johannesburg et feront l’étonnement tout au long de notre périple. Décidons a priori de partir d’une mission, qui pourra nous aider à trouver nos ânes et un guide, où nous pourrons laisser nos voitures en sécurité. Car, de partout, on nous avait bien mis en garde contre les Transkeiens, qui sont voleurs en diable a un tel point que les randonneurs sont obligé de dormir avec leur sac attache au poignet. Le moral n’est pas très élevé, pendant que nous errons dans les couloirs, ou peu à peu les informations arrivent et se recoupent. Les routes sont très difficiles sans 4×4 . Apres deux heures, le chef n’est toujours pas revenu de son déjeuner. Nous faisons un peu de bruit, et on décide de nous amener au grand chef, qui n’est pas dans son bureau mais sera là sous peu. Apres une demi-heure, nous sommes présentés à un blanc cordial, qui en dix minutes nous dit tout ce que presque trois heures de palabres avec les locaux n’ont pu nous apprendre. Non, il n’y a pas de bilharziose. Oui, nous pouvons nous promener, mais dans une région précise car une partie de la côte est une réserve pour laquelle il faut un permis dont les quotas sont réduits, une autre partie est peuplée de tribus qui risquent de créer des problèmes. Il nous indique une région ou les gens sont paisibles .Ne sait pas si nous pourrons trouver des ânes, et nous conseille de toujours demander au chef du village avant de s’installer, et de faire bouillir l’eau avant de la boire.

Il ne nous reste plus qu’à faire prolonger nos visas qui sont limites a sept jours, alors qu’il nous en faudrait neuf. Allons au bureau ad hoc, ou, après une longue queue, nous voilà face à une employée qui ne veut pas prolonger nos visas alors qu’ils ne sont pas encore expirés. Apres moult explications, elle consent à aller voir son chef. Seuls dans le bureau, nous pouvons à loisir consulter les dossiers, jouer avec papiers et tampons. Elle revient avec un grand sourire. Il est possible de prolonger nos visas, mais il faut attendre car toutes les personnes habilitées à signer sont en réunion, et nul ne sait quand cela va finir. Nous insistons lourdement. et l’Afrique nous trouve la solution. Il suffit de dire que la date de renouvellement est un samedi, ce qui est vrai, que le lundi est Noël, le 26 est férié. Nous pouvons donc rester 11 jours sans problème. Fin de l’épisode administratif, qui nous a fait perdre près de cinq heures pour nous montrer une machine administrative bien pensée mais incapable de fonctionner efficacement avec cette population. N’étaient quelques blancs aux postes clés…

Quatre heures de route dont deux de piste affreuse qui n’en finit pas. Bénissant nos cartes d’état-major , nous arrivons à la mission visée à la tombée du jour. Peu sympathique, au premier abord. Les bâtiments et l’église sont en ruine, nulle trace de vie, le tout jouxte un café. Nous n’avons pas le choix, demandons le chef du village avec les quelques mots de Xosa glanés pendant nos attentes a Umtata. Oui, nous pouvons rester là, mais il faut la permission du responsable de la mission, qui n’est pas là. Etonnés d’apprendre qu’un tel tas de ruines est encore en service, nous décidons de ne pas attendre et de planter. Cela fait venir un homme qui se dit responsable et nous donne l’autorisation. Inattendu, nous sommes tranquilles pour établir le campement, faire manger et coucher les enfants. Pendant notre repas sous le crachin qui commence à la lueur des étoiles, le prêtre, orné de ses plus beaux habits, vient nous rendre visite et nous fait raconter notre histoire. Lui aussi est très sceptique quant à la possibilité d’obtenir des ânes, car c’est la saison des labours. Nous avions bien vu sur le chemin des attelages de bœufs labourer les champs mais c’ est la première fois que nous entendons parler de labour avec des ânes. Notre interlocuteur esquive en disant qu’il ne sait pas qui, dans la région, a des ânes, et que, n’étant dans le pays que depuis 18 mois, il ne connaît pas bien. Une nuit de tempête confirme que notre tente, qui plie de manière inquiétante sous le vent, est un roseau. Il est bien sur désagréable de recevoir la toile et parfois un coup de piquet sur la figure, mais nous sommes protégés.

La quête pour un âne commence bien. Un petit garçon nous indique à qui appartiennent ceux que nous avons entendus braire pendant la nuit. Il nous faut aller au village voisin, a un kilomètre. Nous marchons au milieu d’un habitat très dispersé, de petites cases par groupe de trois ou quatre , avec leur kraal, enclos a bétail fait de branches et d’épines. La limite des villages n’est pas évidente. Avec déjà une cour de suiveurs respectable, nous arrivons chez une veuve menés par notre gamin. Et commence la première de nos nombreuses palabres. On amène des bancs, fait venir le chef du village et nous débitons notre laïus. Etonnés de trouver des blancs, ils le sont plus encore quand ils trouvent des Français. Ils ne savent d’ailleurs pas très bien ce qu’est ce genre de bête et on nous demande souvent si nous sommes des Français d’Angleterre ou d’Australie, les deux seuls pays qu’ils connaissent en dehors de la RSA. Enfin, la carte produit son effet. Elle passe de mains en mains. La veuve accepte relativement rapidement de nous louer deux de ses ânes. Le problème majeur est de trouver un guide. Longues palabres entre eux que je ne peux traduire. Nous insistons pour qu’ânes et ânier viennent du même village, afin de concentrer les responsabilités. Apres une bonne demi-heure, on nous emmène à 200 m dans une autre case, et nous sommes présentés à Adolphus Loulou, forte personnalité qui travaille à Johannesburg et est là pour ses vacances. Grands discours a couleur d’apartheid renverse. Toute l’année, des blancs sont sur son dos, il jouit d’une situation inverse. La discussion se prolonge, et nous trouvons une réponse aux paroles de l’homme d’Umtata. Nous devons être accompagnés par un homme, ayant eu sa cérémonie d’initiation, sinon dès l’entrée du village tous les jeunes vont le battre. Zoulou ne comprend pas bien nos motivations. Il connaît la situation des blancs en RSA et a du mal à imaginer que nous passions nos vacances comme cela. Finalement, rugueux et bougon, il dit vouloir prendre la place. Nous ne sommes pas ravis, aurions préféré quelqu’un de plus jeune et de moins urbanisé. Devant l’absence de choix, après avoir bien posé nos conditions (pas d’alcool, responsabilité totale des ânes et de leur chargement), nous l’engageons. Apres une dernière palabre, nous voilà en route avec notre homme qui, malgré ses dires, ne sait pas mener des ânes, et un couple d’ânes dont la femelle fait preuve d’une force de caractère inquiétante.

Sous les regards des villageois ahuris, Zoulou nous montre qu’il n’a jamais bâté un âne en nous donnant des ordres à grands coups de gueule. Le chargement tient 25 mètres, après quoi tout est à recommencer. Heureusement que J a une certaine expérience en la matière. Cahin-caha, sous un soleil de plomb (il est midi, bien sûr pas la bonne heure, mais pour le moral il faut décoller), la troupe s’ébranle non sans aller-retour aux voitures pour un oubli de dernière minute. C’est parti. Déjà la veille au soir, nous avons dû tester les dispositions prises pour l’eau. Au ruisseau, nous avions puise une eau noirâtre. J avait acheté en France un filtre céramique, censé supprimer tous germes et impuretés. Efficacité prouvée. A condition de ‘pomper’ à travers le filtre toute l’eau bue, nous n’avons eu aucun problème ( détecté à ce jour..). Nous marchons sur la route, ce qui est un bien grand mot. Une méchante piste qui serpente au milieu de cases, parcourue par un véhicule ou deux par heure. Une escorte de gamins et d’adolescents nous suit, nous colle même tant qu’il suffit de s’arrêter net pour se faire rentrer dedans. Bien sûr, nos suiveurs sont pieds nus et découvrent les chaussures de marche à nos pieds ( sauf pour nos enfants: Al a des tennis trouées qui tiennent le coup avec cartons et grand renfort de ‘shoe patch’, caoutchouc en tube dont G barde la semelle chaque soir – Be a des tennis qui ne valent pas mieux et ses chaussures d’école plus solides mais trouées au bout. Seul Flo peut être fier de ses baskets multicolores tout au moins jusqu’au premier pas dans la boue après lequel elles virent au marron ).

Apres une heure, entre deux villages, nous déclarons l’heure de pause arrivée. La troupe se regroupe, chasse tels des mouches nos admirateurs qui se tiennent maintenant a au moins dix mètres de nous, et nous sortons le repas. Boite de thon ou saucisse sèche, je ne me souviens plus, ceci, avec les nouilles ou la mousline pour le soir ayant constitué le menu de chacun de nos repas. La pluie se met a tomber, nous sortons Kway et cirés, et faisons usage pour la première fois de la grande feuille de plastique épais qui servira tour à tour de cape , siège ,nappe, tapis de sol,… Et nous voilà repartis, Flo sur mes épaules . Une vieille femme probablement à moitié folle fait une heure de route avec nous, tour à tour parlant, chantant, dansant, riant et criant. Bien sûr, nous ne comprenons pas un mot. Coupant un lacet de la route, nous traversons un village ou a lieu un indaba, grande réunion. Le chef est furieux que nous passions par là, perturbant l’événement.

Il faut voir notre cohorte, étalée sur 300 mètres. Généralement en tête viennent les ânes, qui n’ont que deux vitesses : arrêt, ou avant rapide. Jamais, nous n’avons pu leur faire ralentir le pas, et sans Zoulou qui s’obstinait à les bâter en dépit du bon sens, donc à devoir les bâter à nouveau tous les 2 km, ils auraient toujours été loin devant. Le problème de l’ânesse caractérielle a été facilement résolu par sa lubricité. Ayant toujours le nez dans l’entrejambe du mâle, nous ta laissions totalement libre. Elle ne quittait jamais ce dernier de plus d’un mètre. Ce couple charmant a permis par ailleurs de donner une leçon permanente d’éducation sexuelle à nos petits. Selon les humeurs, on trouve ensuite les sept enfants marcheurs. Zoulou est avec ses ânes, assiste par J dans les endroits difficiles. A porte la dernière , Lau, 18 mois, – et donne la main à leur Thi ( 4 ans ). Flo lui, est soit sur mes épaules, soit nous donne la main. Il en reste cinq, de 5 à 9 ans, qui se débrouillent .Chacun avec son sac à dos, plus ou moins chargé. Les enfants noirs qui nous suivent et entourent sont collants, mais farouches. Lors des pauses, un mouvement brusque, volontaire ou non, déclenche comme une volée de moineaux.

Lorsque nous arrivons, fourbus, trempés et crottés, chez le chef du village ou nous souhaitons passer la première nuit, l’accueil est chaleureux. A et J, entrés avec tous les enfants pour demander l’hospitalité, se font offrir un thé bien chaud pendant que nous sommes dehors à garder les ânes. Ils se font indiquer une maison à 300 m (bien 1 km ) ou nous serons hébergés. Toujours sous la pluie, on repart. Pour recevoir un accueil exceptionnel. Assis dans une grande pièce nous buvons le thé en racontant notre histoire. Deux ou trois fois, car à chaque fois un nouvel arrivant se présente. Apres quelque temps, nous apprenons que nous sommes chez un retraité d’une banque du Cap, qui vit a Umtata et passe Noël ici. Nous plantons la tente derrière la maison sur un terrain un peu plat (dans ce pays de 1000 collines, le plat est le plus difficile à trouver), au milieu des vieux sages du village qui nous regardent comme des extraterrestres et visitent les tentes une fois plantes. Il faudra nous y faire, ce sera tous les soirs la même chose. Les enfants supportent mal d’avoir 100 spectateurs à leur dîner. Pour la seconde fois, le repas des parents, une fois la jeune classe couchée, est raccourci par la pluie et le soir. Presque invariablement, le grand bleu est là sans un nuage au lever, vers 6 heures. Le temps se couvre à partir de midi et la pluie arrive à 16 heures. Nous plantons souvent dans la gadoue, toujours dans les bouses de vache, qui nous donne un parfum subtil.

Du village voisin, vers 22 heures, monte une musique de fête. Du moins, pensons-nous. Avec des rythmes sourds, un peu angoissants. A juste titre. Nous entendons un grand bruit, un choc, comme si quelqu’un avait donné un coup de bâton sur la tente. Je me lève en sursaut, me précipite dehors pendant que Be se met à hurler. Rien. G crie, me demande d’allumer la lumière, pour voir la tête de Be complètement en sang. Panique générale. J bondit chercher nos hôtes pendant que nous aspergeons la tête de Be. Suivent dix minutes d’intense activité pendant lesquelles nous cherchons à comprendre ce qui s’est passé et ce qu’a Be exactement. Emmené à l’intérieur de la maison, à la lueur des bougies, nous ne voyons qu’une belle coupure sur le cuir chevelu. La pharmacie entre en action et, sur proposition de nos hôtes, nous rentrons les enfants à l’intérieur de la maison ou nous passerons finalement tous le reste de la nuit. Inutile de dire que le moral n’est pas au beau fixe et les esprits occupés.

J nous racontera beaucoup plus tard le spectacle auquel il a assisté à l’intérieur de la maison, qui était la case des vierges qu’il a toutes réveillées nues pour les voir s’éparpiller…

Le lendemain matin, grand conseil. Nous trouvons la pierre qui a frôlé la tente de J pour finir faire un trou dans la nôtre en tapant sur Be. Une pierre bien coupante. Nous hésitons entre notre 1er instinct qui nous pousse à faire demi-tour et à rentrer en sécurité en Af du Sud, et la voix qui dit qu’il y aura partout des bandes de jeunes éméchés. La dessus, les hommes du village au grand complet demandent à nous parler. Un indaba se tient, les hommes seulement, en rond. Ils sont consternés et terrorisés. Consternés, car, comme ils l’expliquent, les jeunes du village voisin sont venus bafouer l’hospitalité, et donc la protection, qui avait été accordée par le chef du village, et par là même bafouer son autorité. Terrorisés a l’idée de la réaction qui leur semblerait logique de notre part d’appeler la police blanche qui n’est jamais loin et qui punit sévèrement toute agression de blancs. Nous avons beau être au Transkei, état en théorie souverain, ils ne se font pas beaucoup d’illusions et s’attendent à de graves ennuis. Rassurés par notre attitude compréhensive, ils nous exhortent de continuer notre voyage, nous promettant qu’un tel incident ne se reproduira pas. Ils envoient un messager prévenir les chefs de villages voisins, et nous assignent un guide et garde pour la journée, armé d’un vieux fusil qui n’est pas pour nous rassurer. On continue…avec tente, duvets et pyjamas pleins de sang pour nous rappeler chaque soir de nous tenir sur nos gardes.

Cette seconde journée nous met aux prises avec une autre difficulté, prévue cette fois. Comme nous approchons de la mer, la largeur des cours eau est influencée par la marée. Nous quittons maintenant la route, et suivons un sentier, qui traverse une rivière. 50m de large, de l’eau jusqu’à la poitrine. Il y a beau ne pas y avoir de bilharziose, cela nous parait un peu beaucoup .Pas pour J, qui y va gaiement cherche et trouve un passage , débâte les ânes, et commence à faire traverser les enfants. C’est parti pour durer quelques heures. Heureusement, sur le bord du chemin au-delà de la traversée, je trouve une plate, en mauvais état mais qui tient l’eau. Enfants et chargement passés, restent les ânes. Par la douceur, la persuasion et surtout les grands coups de bâton, J les fait passer dans l’eau jusqu’au cou. Pause après la traversée, qui nous a bien occupés. L’avantage, c’est que maintenant plus aucun enfant ne nous suit. Il faut choisir le village où passer la nuit, nous sommes maintenant assez difficiles. Nous voulons un village petit, isolé, loin de toute route qui amène boutiques et alcool. Cela nous coûte, cette fois, une étape assez longue.

Il y a de la grogne dans l’ air, mais cette fois pas de pluie. L’indaba avec le chef du village devient de plus en plus long, à mesure que le récit par Zoulou de notre périple s’étoffe. L’accueil du chef est chaleureux, nous plantons dans l’ enceinte de sa cour, bien à l’abri du vent. Impressionnés à notre tour, nous voyons un gamin de douze ans pénétrer dans un enclos plein d’énormes taureaux, en sortir six l’un après l’autre, et les atteler devant sa charrue. Nous qui faisons un détour respectueux chaque fois que nous croisons une de ces bestioles dans un champ! Tous les villages que nous avons pu voir sont installés au sommet des collines. Ce qui fait qu’ils ont une vue superbe. Celui-ci dominait l’embouchure d’une rivière ,nous étions bouche bée devant le panorama. Les inconvénients d’une position élevée, héritage probable de périodes troublées, sont multiples. Le fait qu’ils soient exposes a tous les vents ne les gêne peut être pas trop, nous si. Par contre, devoir aller chercher l’eau plus bas vers les vallées est une corvée pour tous. Nous y avons eu droit presque chaque soir. Cela, associé au pompage à travers le filtre de l’eau à boire, a redonne a l’eau une valeur que les enfants ne connaissaient pas.

Le lendemain, jour de repos, nous sommes allés au bord de la mer, à deux heures de marche. La, Be est émerveillé : « Je n’avais jamais vu la mer aussi près de la nature »

Là, nous retrouvons également le tourisme sauvage. Venus en 4*4, la moto en remorque, nous retrouvons des Sudafs avec lesquels nous avons peu à partager. Encore une fin de journée difficile. Les enfants commencent à subir les effets du manque de sommeil. Pour le couchage, nous nous sommes loupés, et ce que nous avions pris sur la carte comme une succession de petits villages est en réalité un gros village étendu. Une route a été construite au milieu, et nous nous retrouvons assez vite traînant une meute d’ados ricanant, jouant de leur guitare (que nous avons vue partout, faite d’un bidon d’huile de cinq litres sur lequel est attache un manche en bois). La première femme que nous rencontrons me prend par la manche pour réclamer de l’argent. Très désagréable, comme situation. Il ne faut pas longtemps pour nous décider à tenter un autre village, de l’autre côté de la vallée.

Arrives là, déception. Le village est plus petit, mais il y a aussi une route, et un café. Le chef du village habite à une heure de marche. Pendant que nous nous demandons ce que nous allons faire, en insistant un peu pour voir un ‘sous-chef’, un homme se propose pour nous héberger chez lui. Un peu surpris de son audace (il devrait avoir eu l’autorisation du chef pour nous proposer), nous le suivons, plantons, et découvrons que cet homme à l’habillement inhabituel, un peu punk, à l’aisance et à la décontraction bizarres, bien que ne parlant pas un mot d’anglais, est le sorcier du village. Les enfants l’observent dépouiller un iguane dont il fera remèdes et gris-gris. Nous sommes rassurés, la protection du sorcier doit bien valoir celle du chef. Moderne, ce sorcier. Il a une moto…

Le lendemain, la progression se fait sous un ciel gris s’assombrissant au fil des heures. Cédant aux suppliques de Be, qui me réclamait depuis deux jours, je commence une longue histoire, qui n’est toujours pas terminée, mettant en scène une baleine, un dauphin, un kangourou ( Flo, qui saute à chaque fois ), et un tas d’autres personnages. Cela fait passer le temps et trotter les enfants. Dans une boutique, nous demandons du pain, introuvable ici. Nous aurions pu y penser et n’avons plus qu’à rationner. Le village cible est sur le sommet d’un pain de sucre. Le premier paysan rencontré insiste pour nous héberger. Ce serait avec plaisir. Il a l’air jeune et sympa, et, comble du modernisme, a le toit d’une de ses huttes en tôle ondulée, ce qui permet de récupérer l’eau de pluie dans un réservoir. Principal inconvénient, son terrain est à 45 degrés, ce qui est assez rédhibitoire. Nous montons donc au sommet, pour comprendre une histoire longue et confuse de chef habitant à côté, dans une hutte misérable, puis de chef lointain dont l’assistant n’est pas trop loin. D’enfants envoyés chercher l’assistant, que l’on voit disparaître à l’horizon. Le tout à la nuit tombante, sous un crachin et un vent glaciaux. Notre Zoulou est d’une humeur exécrable, nous avons du mal à le comprendre. Il est furieux de sa situation car il est dans une terre inconnue, au milieu de gens inconnus, et se sent un peu perdu.

Nous reprenons les rênes et décidons de nous adresser directement aux habitants sans attendre le chef. Il fait froid, les enfants ont faim. Une femme accepte de nous prêter une case pour faire manger les enfants, en attendant, mais pas plus. La pluie et le vent redoublent pendant que nous débâtons les ânes. Le chef arrive enfin, un vieillard décrépit. Il convoque tous les hommes du hameau pour prendre sa décision que nous sentons difficile. Zoulou plaide comme un chef, et, une fois encore, la carte fait des miracles. Je me demande combien de temps cette assemblée de bras cassés va prendre pour nous accorder l’insigne honneur d’occuper quelques mètres carrés à plat. C’est l’Afrique, les palabres, auxquelles nous ne comprenons rien, s’étendent. Leur méfiance est difficile à vaincre, ils n’arrivent pas à croire que nous ne parlions pas Afrikaans. Enfin, un accord provisoire nous est gratifié, il faudra se le faire confirmer demain auprès du grand chef de l’autre côté de la montagne. Le terrain est en pente, dans le passage du bétail. Nos épouses sont épuisées d’avoir tenu les enfants dans une minuscule case pestilentielle, nous sommes tous sales et trempés. Pas rassurés, non plus. Le chef et sa clique ne nous ont pas fait une impression fantastique, celle d’une bande de vieux dégénérés qui doivent avoir peu d’autorité sur les jeunes qui nous entourent comme à l’accoutumée.

Dans la soirée, le chef nous demande de l’alcool, puis 5 rands pour acheter de la bière. Nous ne comprenons pas et insistons pour lui offrir un café, puisqu’il a soif. Dans la soirée, la pluie se calme. Nous entendons des gens passer dans la nuit a côté de nos tentes. Je me lève et sors. Pour voir un couple passer, que je salue avec respect. Tellement ébahis de me trouver là, avec ma tente, ils continuent à avancer en me regardant, et se dirigent sur la tente de J, qui, sombre, est invisible dans le noir. A ce moment, J émerge et voit deux formes foncer sur lui. Il bondit de son sac et de sa tente comme un diable de sa boite en criant, et saute à la gorge des gens au moment où ceux-ci trébuchent sur lui. Je calme vite J, qui était convaincu d’une attaque. Nos pauvres villageois, un peu éméchés, repartent dans le noir sans avoir bien tout compris. Pendant que J répare les dommages subis par son campement, nous décidons de monter la garde car aucun d’entre nous n’est vraiment confiant. Comme les Boers pendant le grand trek, nous installons des branches et des piquants tout autour des tentes pour dévier les ivrognes.

On en rit maintenant, mais sur le moment, en train de veiller sur le sommeil de nos familles, nous ne nous sentions pas du tout ridicules, armés chacun d’une lampe de poche et d’un demi piquet de tente, prêts à parer à toute attaque. Seul Al, ignorant ce qui venait de se passer et sortant pour un besoin naturel, trouve les papas complètement ridicules avec leur barrière que même lui pouvait enjamber facile. Apres une nuit écourtée par notre veille, au grand soleil, pendant que nous empaquetons, la dame ayant ‘agressé’ J pendant la nuit vient s’excuser. Nous avons du mal à ne pas rire en entendant le dialogue, elle en Xosa, lui en Français, tous deux très sérieux mais sans en douter sur la même longueur d’ondes. Nous ‘oublions’ de se faire confirmer l’autorisation par le chef suprême, et tout le monde oublie de nous le rappeler en nous indiquant la route du retour. Il n’empêche qu’a ce stade, sales, épuisés, nous ne nous sentons plus le courage d’affronter une nuit de plus. Noël approche et nous nous faisons confirmer que cette fête est l’occasion d’une beuverie générale que nous voulons éviter. Nous traçons donc une route qui nous permettrait de récupérer les voitures moyennant une marche forcée pour les pères.

Le soleil était d’un avis contraire. Partis très tôt (lever 6H, ânes bâtés et enfants repus à 7H30), malgré un effort réel nous ne progressons pas beaucoup. A midi, sous un soleil de plomb, une erreur d’itinéraire nous fait perdre une heure. Impensable de rejoindre les voitures ce soir. Le moral n’est pas bien haut. A trois heures, après une heure de pause, nous arrivons à une rivière claire, qui coule bien. Peu profonde et chaude, nous nous baignons tous avec délices. Le moral revient alors que la crasse part. Zoulou nous promet un hébergement de première classe chez ses cousins. Il est maintenant de retour dans sa zone de connaissance. La remontée de la rivière au village est un calvaire, sous un soleil de plomb. Flo dort sur mon dos, les sacs sont lourds. Nous approchons du village, étendu le long de la route, voyons des bus, des ivrognes, presque une ville. Le ciel se couvre à toute vitesse, et une tornade se déclenche alors que nous arrivons. La poussière vole dans les yeux, flagelle les jambes. Nous devons porter les petits pour ne pas qu’ils tombent .Juste arrivés, le déluge s’abat. A deux minutes près, nous étions trempés.

La maison du cousin de Zoulou est bien, elle a même un salon avec des fauteuils et de la moquette. Pour ne pas salir la moquette (explication officielle) et surtout éviter tout contact avec ce nid à poussière, nous étendons notre plastique sur la moquette avant de faire manger les enfants. Pour le couchage, léger problème, il n’y a pas de terrain autour de la maison, a moins de planter sur le fumier ou dans le champ a côté, en dehors de la clôture de la ferme. Ce que nous refusons vu les ivrognes rencontrés en chemin et nos expériences antérieures. Seule solution, le poulailler. Nous vidons les poules, balayons, nettoyons. J’installe la tente dans le poulailler, à la stupeur générale. A, J et leurs enfants dorment par terre. C’est pour le moins poussiéreux, mais ça va. Le lendemain, dernier jour de balade, c’est certain : nous avons récupèré des puces dans notre poulailler. A moins que ce ne soit dans le salon.

Véhiculant ces passagers, sous un ciel mitigé, nous forçons la marche afin être sûrs de passer la nuit au calme et en sûreté, chez les Sudaf. Tout le monde marche bien, et, à midi, nous sommes accueillis avec chants et danses a notre village de départ.

Reste à rendre les ânes et à nous séparer de notre Zoulou. J’en ai peu parlé, de cet animal, bien qu’il soit râleur, têtu, grognon, et ne sache s’exprimer qu’en criant. A la fin, il était un peu abattu. Il a même confié à G qu’il aspirait à se reposer, car les gamins marchaient trop bien, que cette balade était trop pour lui. Bien sûr, rendre les ânes nous pris deux heures. Il a fallu, une fois de plus, sortir les bancs et parler, raconter, remercier, et surtout échanger les adresses. Zoulou viendra nous voir, c’est promis. Quand il verra ou nous habitons, je crois qu’il ne comprendra plus rien.

Repartis vers la RSA, bien sûr personne ne nous a rien demandé à la douane, c’est tout juste si nous avons arrêté la voiture. Arrives le soir à East London, au camping municipal, nous avons réveillonné. Apres la douche, un steak frites sur le front de mer avec un coca. Que c’est bon…

Nous n’avons pas fini de tirer les conclusions de cette expérience. C’est dur, sans aucun doute. Nous recommencerons probablement, ailleurs. Nous avons le sentiment d’avoir parcouru la fin d’une époque, d’une culture. Les petits villages reculés vont disparaître dans les années à venir, et avec eux toutes ces traditions tribales, que nous avons vues déjà bien entamées parfois. Les gros villages présentent déjà tous les symptômes de la civilisation amenée trop vite et de manière non digérée. Alcoolisme et violence sont là, sans le confort matériel ni l’éducation. Avoir vu tout cela permet de bien mieux comprendre les réactions et le malaise des noirs urbanisés en RSA, et confirme l’immense fossé culturel et éducationnel qu’on leur demande de franchir. Les touristes sauvages ne peuvent que devenir de plus en plus nombreux malgré la volonté politique d’Umtata de conserver leurs sites naturels J’ai peur qu’ils n’aient pas les moyens de cette volonté. La conservation de la nature est un luxe pour pays riches. Les splendides bords de mer que nous avons vus risquent fort d’être bâtis de marinas avant la fin du siècle. A moins que les Sudaf ne prennent les choses en main et ne mettent les moyens techniques et financiers que nous avons vus déployés quelques jours plus tard au Tsitsikama Mais l’accroissement de la main mise blanche dans cette partie du monde n’est plus vraiment dans le sens de l’histoire. .

Johannesburg  31 / 12 / 1989

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